Le suffrage universel a parlé

Publié le par Lilian

Nous sommes le dimanche 6 mai 2007. Il est 18h et un ami m'envoie un lien sur le site d'un quotidien belge qui annonce déjà les résultats. Nicolas Sarkozy 53%, Ségolène Royal 47%. Je n'y crois plus depuis jeudi, lors de la parution des sondages qui annoncent le même résultat. Mais quelque part je ne réalise pas encore.

Il est 19h quand nous décidons de nous réunir pour regarder le résultat, mais pas devant une télévision, plutôt dans un endroit public. C'est un ami qui suggère le QG de campagne de Ségolène. Je trouve que c'est une mauvaise idée : les rassemblements des gens déçus ont mauvaise mine. Nous arrivons finalement rue de Solférino, où un écran géant est installé, à 19h50. La foule est colorée, mixte, jeune. Les acclamations fusent. Le sang monte à la tête. L'espoir ressurgit presque. Nous nous faufilons à travers les gens. Les filles sont nombreuses. Les femmes, la quarantaine affichée, simples. Beaucoup de noirs, d'asiatiques. Il y a pas mal d'homos aussi.

Il est 20h : je ne vois pas le visage de Sarkozy sur l'écran géant, deux hommes grands me bouchant la vue ; mais les sifflements sont là, très vites masqués par les cris. Les visages sont graves. J'entends via l'écran géant que la salle Gaveau explose. Une jeune fille pleure à côté de moi. J'ai envie de pleurer, moi aussi. Je réalise que l'espoir d'une France différente part en fumée. Ségolène intervient, son discours me réchauffe le coeur : il est juste, indispensable. Elle ne nous abandonne pas. Elle nous remercie et j'ai envie de faire de même.

Nous nous éloignons de la foule. Avec mes amis, nous n'arrivons pas à parler, à part pour exprimer notre dégoût. Un groupe de jeunes filles d'Argenteuil marchent et clament fort "Sarko, facho, le peuple aura ta peau". Je leur souris, car leur énergie est vive et puis soudain j'ai envie de leur crier que la démocratie doit être respectée, que le combat ne se fait pas contre un homme, mais pour une vision de la France. Ces discours me rendent autant malade que les "On a gagné" des quelques sarkozystes suicidaires qui scandent près du QG de campagne de Ségolène.


La France qui gagne place de la Concorde. 

Plus tard, assis à une table de restaurant, nous regardons les images de la fête Place de la Concorde sur la mini télé branchée par le patron. Mireille Mathieu entonne la Marseillaise. Enrico Maccias chante "Ah qu'elles sont jolies les filles de mon pays". Faudel chante "Mon pays". Miss Dominique entonne un "Happy Day". J'ai envie de vomir mon carpaccio tellement ce spectacle populiste et de mauvais goût m'écoeure. La caméra défile sur la foule festive : je me demande où sont les noirs, les arabes, les asiats? Faut-il être forcément blanc, la vingtaine, avec une mèche sur le front soigneusement déstructurée pour apprécier ce genre de fête? Je croyais la jeunesse parisienne plus branchée...

En sortant du restaurant, une jeune fille chante à la guitare "Baby can I hold you tonight". Une cinquantaine de gens l'écoutent, chantent avec elle. Nous chantons aussi. Il est bientôt minuit et tous ces gens ne veulent pas rentrer chez eux. Tout comme moi.
Pendant un instant j'oublie le résultat. J'oublie les cinq ans difficiles qui nous attendent. J'oublie la Place de la Concorde. J'oublie ces jeunes à la mèche buvant leur bouteille de Veuve Cliquot en beuglant 'Happy Day'. Et je me réconforte en repensant à tous ces visages rue de Solférino qui forment ma vision de la France. Mixée et belle.

Rendez-vous en 2012.

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