Quoi être maintenant?

Publié le par Lilian


Ci-gît : "Petit-humain-asexué-mort-d'un-amour-empêché-dont-il-n'a-su-que-faire."



"Me zo gwin ha te zo dour" ou Quoi être maintenant?
La nouvelle création de Michel Raskine est une commande de la Comédie de Valence et en ce moment en exploitation au Théâtre du Point du Jour à Lyon. Sur un texte de Marie Dilasser, jeune auteure sortie quelques années plus tôt de l'Ensatt, Michel Raskine renoue avec une comédie en trois actes avec scène réduite.
 
Comme je connais l'ouvreuse, pardon, le créateur lumière du spectacle qui n'est autre que l'ami Julien Louisgrand, j'ai eu la primeur d'assister au filage. J'étais donc en plein milieu de la salle, avec pour seuls compagnons le photographe des Nuits de Fourvière, Michel Raskine et son assistante Aurélie. Vous imaginez donc mon sentiment de privilégié : c'était comme le cinéma chez soi, mais au théâtre! (et pas l'inverse, parce que le théâtre chez soi comme au cinéma ça ne veut plus rien dire du tout).
 
Que raconte "Me zo gwin.." en quelques mots? Trois personnages luttent pour exister : un sans-papiers et sans famille, une jeune fille qui rêve d'être un garçon homosexuel et une mère dont le mari a disparu. Pendant ce temps, dans la grange à foin, trois animaux répondant aux noms de : la truie angora rousse, la brebis carnivore et le taureau fort distingué, commentent les moeurs de leurs maîtres.. Et dieu sait qu'il y a matière à raconter!
 
Marie Dilasser, l'auteure, a bâti une comédie surréaliste dont le texte alambiqué, cru mais étrangement poétique emmène le spectateur dans un étrange voyage où les personnages se projettent indéfiniment dans un idéal, qu'ils pensent bridé par leur héritage familial. Le spectacle évolue ainsi en trois temps : l'héritage de l'enfance ou son absence, la volonté d'être autre chose que soi-même et l'accomplissement de cette volonté et enfin les perspectives de ces bouleversements.
 
L'acidité du ton employé est souvent liée à l'expression de la sexualité des personnages. Car "Me zo gwin.." parle bien évidemment de sexualité, de l'exploration du genre et des possibilités érotiques de l'inversement des rôles, souvent imagées de façon grotesque et crue : le faux sexe de Paule Kadillac, les accouchements qui s'apparentent plus à des viols, la soumission assumée de Boruta Priscillone.. Ce sont les obsessions sexuelles de chacun qui amorçent le changement des rapports sociaux que l'auteure veut figés.
 
Bien sûr, la complexité d'un tel texte saute aux yeux sur le papier. Michel Raskine propose une scène réduite où tous les artifices de scène sont quasi apparents. Cet aspect de laboratoire expérimental qu'il semble affectionner se traduit par des éléments de décors modulables, les objets de la vie quotidienne omniprésents ou encore l'intrusion de la radio. Cela permet d'épurer un texte assez chargé autant dans le style que dans le fond. L'exemple le plus criant est certainement celui des décors : ils s'emboîtent et se déboîtent comme des poupées russes dans un but évident de facilité de lecture mais ils sont également liés naturellement à la progression de l'enchevêtrement des désirs des personnages, de leur volonté de bousculer leurs idées reçues sur leurs rapports sociaux.
 
Car il est bien question de rapports sociaux dans ce spectacle qui s'ouvre sur cette citation de Michel Foucault, tirées de 'Le triomphe social du pouvoir sexuel' : "Nous vivons dans un monde relationnel que les institutions ont considérablement appauvri. La société et les institutions qui en constituent l'ossature ont limité la possibilité de relations parce qu'un mode relationnel riche serait extrêmement difficile à gérer [...] En effet, nous vivons dans un monde légal, social, institutionnel où les seules relations possibles sont extrêmement peu nombreuses, extrêmement schématisées, extrêmement pauvres. Il y a évidemment la relation de mariage et la relation de famille, mais combien d'autres relations devraient pouvoir exister."
 
D'une certaine façon, la truie angora rousse, la brebis carnivore et le taureau fort distingué qui représentent les pulsions, la force de la nature et l'absence de hiérarchie ne sont-ils pas l'exemple à suivre? Le spectacle se clôt sur leur peur que leurs maîtres soient broyés par les normes nouvelles qui les conduiraient directement 'dans un élevage intensif à la fois gigantesque et minuscule'. Si cette conclusion est une métaphore du monde urbain, alors Marie Dilasser a alors livré une comédie plus pessimiste que ce que les joyeuses tirades acides et les imageries grotesques et drôles laissent penser.
 
 
"Me zo gwin hate zo dour" ou Quoi être maintenant? (Marie Dilasser/Michel Raskine)
Théâtre du Point du Jour - 7 rue des Aqueducs, Lyon 5e
Du mardi 30 janvier au vendredi 9 février à 20h30 (5, 7 et 8 février à 19h30)
-- Un grand merci encore à Julien et à Michel pour m'avoir permis d'assister au spectacle et de m'avoir accueilli avec autant de gentillesse!--

Publié dans Théâtre

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